Escales dans les Etoiles : Vance fait-il ses adieux ? par David Antonini

Ces trés intéressantes réflexions lues sur le forum fr.rec.arts.sf m'ont amené à correspondre avec leur auteur qui m'a trés aimablement autorisé à les publier . Qu'il en soit vivement remercié.

Les oeuvres de Vance m'ont toujours semblé contenir, au-delà de la trame même du récit, une part des réflexions de l'auteur sur sa vision du monde, de la politique, etc.. quoique habilement dissimulée. Etant un lecteur assidu de Vance, un "fan" ayant relu de nombreuses fois tous ses ouvrages traduits en français, j'ai eu une extrême surprise en découvrant récemment - avec beaucoup de retard, honte à moi - son dernier ouvrage, traduit en français avec pour titre Escale dans les Etoiles. 
C'est seulement trois jours après avoir achevé une première lecture rapide de cet ouvrage, que j'ai commencé à supputer que cet ouvrage qui au premier abord m'avait étrangement surpris, contient un message soigneusement dissimulé, au sein même de sa construction. J'aimerais savoir si d'autres lecteurs y ont découvert la même chose, ou partagent mon point de vue.  

Tout d'abord, je souhaite détailler tout ce que je considère comme inattendu dans ce roman. La première chose qui m'a frappé, c'est l'apparent retour au space opéra - une succession d'aventures épisodiques, quelque peu similaire au roman "Space Opera" , alors que sur ses deux derniers ouvrages, le cycle d'Araminta et "La Mémoire des Etoiles", la trame du récit était beaucoup plus unie. "Escales dans les Etoiles" débute cependant de façon fortement similaire à "La mémoire des Etoiles". Un personnage principal, Myron (Jaro) jeune, avec des parents (adoptifs pour Jaro) qui souhaitent le voir mener une existance calme, alors que le héros est attiré par l'aventure et l'espace (quoique dans le cas de Jaro, cette attirance soit plus une nécessité qu'un goût). Cette partie du récit est cependant beaucoup moins détaillée dans "Escales dans les Etoiles", et la quête spatiale démarre beaucoup plus tôt. 
Puis tout d'un coup, la quête s'interrompt, lorsque Myron est débarqué du vaisseau de sa tante Hester Lajoie.. On s'attend à la voir ressurgir quelque part.. On s'attend à voir en Myron l'un des héros typique de Vance, qui alliant détermination et chance, surmonte les obstacles et parvient à ses fins (même si celles-ci laissent parfois un goût amer, comme dans "Les Chroniques de Durdane", ou peut-être "Emphyrio"). Au lieu de cela, quoique spatiale, l'aventure prend des allures proche d'un récit à la "Rhialto le Merveilleux" ou à la Cugel : l'on ne distingue plus toujours très bien qui est le personnage principal, Myron s'eclipsant peu à peu pour laisser la place à un certain nombre de nouveaux personnages; les anecdotes se suivent de lieu en lieu, avec des solutions hardies aux nombreux problèmes rencontrés (problèmes liés aux us et coutumes de chaque planète), mais elles sont présentées rapidement, sans détail. 
Pour finir, le récit s'achève brutalement, sans que le personnages d'Hester Lajoie, qu'on aurait pu penser relativement central, ne réapparaisse. Vance nous donne à penser que l'aventure ne s'arrête pas, mais qu'elle est aux mains de ses personnages. Et c'est bien une fin que l'on trouve, il me semble extrèmement improbable que Vance puisse donner une suite à ce récit. Je ne me souviens d'aucune autre oeuvre de Vance ou l'histoire s'achève de façon si abrupte, avant la résolution des problèmes ou des quêtes des personnages, avant la punition des "méchants", etc..  

Après réflexion, il m'a semblé que ce livre pouvait constituer pour Vance un roman d'adieu. L'introduction donnant lieu à un récit relativement construit est un leurre, destiné à nous amener à la surprise lorsque le récit devient plus décousu, et lorsque Myron devient presque secondaire. Je ne peux m'empêcher de penser que Vance a une forte affinité avec ses personnages principaux (combien même la "philosophie de la vie" ou la pensée de Vance sont souvent exprimées dans ses ouvrages par des personnages secondaires). Dès lors, la disparition de Myron, sa dilution au milieu d'autres personnages, pourrait s'apparenter à un retrait de Jack Vance lui-même. Vance est cependant, il est vrai, coutumier du fait de placer un personnage relativement secondaire en avant (Wayness devient le personnage principal de Bonne Vieille Terre dans un grand nombre de chapitres par exemple, Glineth également dans La Perle Verte, puis Madouc dans le roman du même nom, etc..). Mais en général, ces personnages secondaires sont très proches du héros et de l'intrigue, et ont été introduits longtemps auparavant. Il n'y a donc rien de choquant à les voir occuper momentanément le devant. Mais dans "Escales dans les etoiles", les personnages de Wingo ou de Moncrief prennent quelque peu le devant dès leur apparition, ce qui est fortement inhabituel. Et ce qui l'est nettement plus, c'est qu'aucun personnage ne semble être réellement au centre du récit. 
D'autre part, les nombreuses et courtes aventures sur chaque planète pourraient être considérés comme autant de romans potentiels. Dans la plupart des oeuvres majeures de SF de Vance, l'action se situe souvent essentiellemnt sur une seule planète, d'ailleurs, quoique la résolution des problèmes passent souvent par un voyage à une ou deux autres planètes. Enfin, la fin du récit, avec des discussions entre les différents personnages sur le sujet de leur motivation pour l'aventure - la quête de l'indéfinissable Lurulu -, et le sentiment d'inachevé qui en émane, laisse penser que Vance souhaite nous faire entendre ceci : chacune des ses aventures que les personnages vivent dans ce roman, c'est un roman en lui-même. Chaque personnage apparu au premier plan du récit est un auteur, la quête du Lurulu, c'est le besoin de rêve, la motivation qui non seulement pousse les personnages à vivre leurs aventures, mais également pousse un écrivain à écrire ces aventures. Le message qu'il m'a donc semblé transparaître au sein de ce récit est le suivant : Vance a écrit de nombreuses oeuvres, il en reste de nombreuses à écrire, mais la place est maintenant à d'autres.  

Je ne suis guère doué pour l'anlayse littéraire, et j'ai de ce fait éviter d'étayer mon impression par des citations, mais voilà le sentiment que j'ai retiré de cet ouvrage de Jack Vance, et j'aimerais savoir si d'autres lecteurs, connaissant peut-être mieux Vance, ayant assisté à sa conférence en France, ou bien ayant plus de talent pour analyser son ouvrage, y ont vu la même chose (ou peut être plus que cela), et partagent mon point de vue. 
Merci d'avance pour vos commentaires et merci à ceux qui se sont donnés la peine de lire mon long bafouillage.  

David Antonini
sigloxx@cybercable.fr

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